A méditer pour certains qui
doutent ou se voilent la face. Voici un
extrait d’une série de témoignages de l’environnement dans lequel les tunisiens
ont vécu durant 23 ans sur lequel planait le « silence des cimetières ». ».
Comprendra qui comprendra.
Témoignage du vécu politique personnel
pour l'histoire et les historiens.
Témoignages Part 3/10 : L’opposition
tunisienne à l’étranger et la décapitation de la valeureuse armée tunisienne en
1991...
Témoignages à l’intention des
historiens et publiés par Rafaat Mrad Dali
Mots clés :
Abdallah Kallel, Habib Boulares, Zine
el Abidine Ben Ali, Mohamed Mzali, Ahmed Bennour, Ahmed Manai, Mezri Haddad,
Rafaat Dali, Ali Ganzoui, Ahmed Kedidi, Hédi Baccouche, Kamal Eltaief, Habib
Ammar, FTSN ( Front Tunisien de Salut National ), UDT ( Union pour la
démocratie en Tunisie), Chadli El Hammi, Echourouk, Ennahdha, Baraket Essahal,
Officiers, armée tunisienne, Militaires, tribunal militaire, commandement
militaire, médias tunisiens, opinion publique, journal Echourouk, coup d‘Etat
militaire
Lorsque l’on a le sentiment de subir
une grande injustice et que l’on se retrouve en position d’exilé, loin de tes
repères originaux, il est naturel de se transformer en opposant farouche envers
tes agresseurs quels qu’ils soient. C’était une manière de se faire justice
soi-même pour cause d’absence de justice légale et, étonnante sensation, cela
adoucissait le côté « début difficile » de l’exil qui nous amenait à tout
reprendre à zéro (installation, ressources, repères, emploi, adaptation). Nous
étions quelques rares tunisiens exilés entre 1986 et début 88, ( Mzali,
Bennour, Kedidi, Haddad… ) mais nous étions convaincus que ce nombre allait
exploser de façon exponentielle après 1987, personnalités dispersés un peu
partout en Europe surtout en France, au fur et à mesure que Ben Ali
s’installait durablement au pouvoir. Et c’est ce qui s’est passé.. Pour revenir
à l’action d’opposition que nous menions autour de Mohamed Mzali contre le
régime politico mafieux de Ben Ali, nous nous chargions à travers nos réseaux
de collecter le maximum d’information sur tout ce qui se passait en Tunisie (
facebook, la plus grande mine de renseignement du monde n’existait pas à cette
époque ) car l’opposition à l’étranger était la seule structure en mesure de
contrôler, dénoncer et contredire les actes délictueux de Ben Ali et de son
système aux ordres. Tout était annoté et enregistré, et pour nous avoir traité
à sa façon, il était légitime que nous ne nous lui laissions aucun répit.
Mohamed Mzali, forts de ses nombreux soutiens internationaux face à l’injustice
subie, encourageait toutes les oppositions sur place au fur et à mesure
qu’elles s’installaient mais compte tenu des mailles serrées du filet du
système policier de Zaba, nous travaillions en cloisonnement.
Chacun faisait ce qu’il avait à faire
sans avoir à tenir l’autre groupe informé des détails de sa structure d'action.
En ce qui me concerne à travers les organes d’information clandestines le FTSN
(Front Tunisien de Salut National ) et l’UDT (l’Union pour la Démocratie en
Tunisie) (voir copies) que j’avais créé , nous informions à la fois l’opinion
publique tunisienne à travers nos relais mais aussi les organes d’informations
internationaux , les personnalités politiques occidentales ainsi que quelques
associations humanitaires et démocratiques de la réalité du pouvoir mafieux de
Ben Ali avec ses mensonges et ses travestissements, permettant ainsi à un plus
grand nombre de tunisiens opposants d’assurer le relais.
Pour Ben Ali, ses sbires et ses
médias chiffons, missionnés pour tromper le peuple, nous étions bien sûr des «
traitres » qui n’aimions pas notre pays et, en contrepartie, nous considérions
que Ben Ali et ses affiliés était eux les traitres qui affaiblissaient,
bafouaient la dignité de leur peuple en favorisant le mensonge la corruption et
l’injustice sociale, le tout couronné par la Chappe de plomb, « le silence des
cimetières » car sur place toutes les victimes ou familles de victimes étaient
tenues au silence absolu sous peine de représailles. Un père ou une mère ne
pouvait en aucun cas tenter de défendre son fils ou sa fille victimes
d’exactions ou d’injustice pour ses opinions.
Décapitation de la valeureuse armée
tunisienne par Ben Ali
En avril 1991, une affaire
extrêmement grave fit la une de la presse tunisienne et internationale. C’était
la célèbre affaire Baraket Essahel au cours de laquelle Ben Ali déclara avoir
déjoué un nouveau coup d’état, militaire celui-ci, planifié par Ennahdha, qui
permit l’arrestation et l’accusation d’environ 250 officiers supérieurs
officiers, sous- officiers et quelques hommes de troupes pour la garniture.
Pour les soi-disant besoins de
l’enquête, environ 1220 personnes, toutes militaires ont été arrêtées puis
certains relâchés après interrogatoires musclés, pour ne conserver que ces 250
personnes de l’élite militaire qui représentaient aux yeux de tout observateur
politique une véritable tsunami décapitant l’essentiel de l’appareil militaire
tunisien dont on connaissait la valeur et le mérite tout au long de histoire
depuis l’indépendance.
Ils durent subir l’innommable.
Généraux, officiers de haut rang, sous-officiers, arrêtes à leur domicile ou au
travail, acheminés au ministre de l’intérieur, dirigé par Abdallah Kallel, et
non pas à la juridiction militaire comme le stipule la loi ce qui constitue une
ignominie et une double injustice de grande envergure.
Habib Boularés, encore un homme
brillant que Ben Ali a sali et compromis, était le ministre de la défense de
l’époque et il a laissé faire les choses c'est à dire remettre des militaires
entre les mains de tortionnaires du ministère de l'intérieur. Cela lui a pesé
fortement ensuite toute sa vie. Certains des accusés ont pris la direction de
l’ile de Zembra, devenue par la grâce du dictateur, zone militaire.
Naturellement, dès le premier jour
nous avons reçu l’étrange nouvelle sans y croire à sa véracité et dès la
première semaine, nous disposions des premières informations parvenues
discrètement de la part de familles meurtries et indignées de militaires de haut
rang dont un proche de notre famille qui n’avait rien à voir avec Ennahdha mais
aussi par le biais de certaines antennes tunisiennes qui nous ont confirmés,
avec forces détails, que le complot comme pour le précédent, n’en était pas un
et que cela était un montage diabolique d’un Ben Ali apeuré et ce malgré la
conférence de presse donnée par le ministre de l’intérieur de l’époque Abdallah
Kallel, quatorze jours après l’annonce du complot, au cours de laquelle il
décrivait détails à l’appui, les dates, les procédures, l’occupation de la
télévision nationale, du palais présidentiel etc…. Il faut savoir que tout
crime politique est habillé pour placer frontalement un bouc émissaire « tête à
claques » et Ben Ali et son porte-parole Kallal désignèrent le coupable et
l’instigateur. Le « lauréat » désigné avec forces détails fut à l’époque,
Ennahdha. Ce qui est tragique et rigolo dans cette affaire, c’est que certains
dirigeants d’Ennahdha à l’étranger, pour donner de l’importance à leur
organisation et à son implication dans le « système », confirmèrent bêtement
leur implication dans ce coup d’état, renforçant ainsi la répression sur tous
leurs membres vivants en Tunisie, mais aussi sur tous ceux qui pratiquaient
dogmatiquement la religion. Qu’importe !!!! . Comme d’habitude, dans les cafés
et les maisons, les commentaires moutonnés relayaient l’information officielle
qui s’est avérée ensuite totalement et faussement montée. A méditer, car on ne
répétera jamais assez, que « l’histoire est un éternel recommencement ».
Face à autant de faux détails
encadrant les faux tenants et aboutissants de ce faux complot, (hélas les «
élites » ne retiennent pas les leçons), l’opinion publique ne pouvait que
suivre cette diabolique désinformation comme ce fut le cas pour nous car
l’histoire est un éternel recommencement. Les seules voix pour les défendre
durant leur calvaire ne pouvaient venir que de l’étranger. C’est ainsi.
C’est ainsi qu’à travers les tracts
de FTSN et de l’UDT, nous avions, dès le début de l’annonce du complot, donné
notre version de faits et dénoncé ce grave arbitraire touchant injustement une
institution aussi importante de la république. La diffusion des tracts fut
large, chauffant les faxs à outrance. L’ex premier ministre Mohamed Mzali, de
son coté, a réagi par un communiqué officiel non clandestin à cette mascarade,
ce qui a entrainé le courroux déchainé de Zaba et de ses portes paroles de la
presse.
Tout était bidon et 3 mois plus tard,
devant la pression internationale face à ce grossier mensonge d’Etat qui
décapitait l’élite de l’armée nationale, Ben Ali recula et le même Abdallah
Kallal, son ministre de l’intérieur, présenta les excuses officielles aux
militaires, prétextant l’erreur, et les accusés furent tous relâchés sans
exceptions. Mais ironie du sort, ils les ont tous placés sous surveillance
administrative continu sans recouvrir leur droit et grades (l’épée de Damoclès
des dictatures sanglantes et inhumaines) et ce jusqu’à la révolution.
Entre temps, ces militaires, qui
n'avaient rien à voir avec Ennahdha, formés sur le principe de la dignité et de
l’honneur, ont été humiliés, torturés dans l’indignité, pour leur arracher de
faux aveux, carrières brisées, familles cassées, grades perdus et ce jusqu'au
14 janvier. Ennahdha, dont les dirigeants en exil avaient déclaré en être les
instigateurs, fut donc innocenté de cette grave affaire mais Ben Ali leur
réservait d’autres sévices, eux et leurs familles. Les militaires furent donc
totalement réhabilités après le départ du dictateur mais le préjudice moral,
physique, financier reste immense.
Juin 1991 en pleine tourmente de
l’affaire Baraket Essahel :
c’est ainsi qu’un matin Mohamed Mzali
m’appela et me montra un communiqué publié dans le journal Echourouk, excellent
« véhicule » de la voix présidentielle, détaillant le fait qu’à la suite de la
fameuse déclaration de Mzali sur cette affaire, son fils ainé Mokhtar Mzali
(qui ne faisait pas de politique et résidait au Maroc ce temps-là ) et
moi-même, Rafaat Dali, gendre de Mzali et exilé en France, avions contredit la
position de Mzali dans l’affaire Baraket Essahel et pris parti pour
l’information officielle tout en ayant retourné notre veste vis-à-vis de lui et
de ses oppositions, ce qui bien sûr, constituait une nouvelle invention
totalement fausse et consistait en une manœuvre supplémentaire pour diviser et
casser l’unité de la famille et de l’opposition. Seulement Ben Ali ne
s’attendait pas à la force de la réplique, officielle cette fois-ci et non
clandestine de notre part, dénonçant non seulement la bassesse de la manœuvre
mais aussi avec forces détails, les exactions contre les innocents, le
développement du trafic de drogue organisé de ses proches (monopole acquis) qui
s’est terminé par la grosse affaire de la « couscous connexion »), le
démantèlement du service public ( santé éducation, culture), lequel communiqué,
comme tous les autres, était faxés à plus de 150 organes de presse,
personnalités internationales sans compter, ceux qui étaient adressés en
Tunisie à travers les fax officiels des ministères et administrations, ce qui
créaient une zizanie historique déboussolante pour Zaba. Nous étions déterminés
à rendre coup sur coup au bandit.
A ceux politiques qui pensaient que
cela n’arrive qu’aux autres, se trompent car un jour, leur tour arrivera et ils
ne trouveront personne pour les soutenir.
Pour exemple : Parce que Ben Ali
n’avait aucun sens de l’amitié, comme souligné dans les posts précédents,
beaucoup de proches de ce dernier, impliqués avec lui dans ces sordides
affaires et positions, ont été ensuite pour certains arrêtés, jetés en prison
ou humiliés (Hédi Baccouche, Habib Ammar, kamal Eltaief, Chadli El Hammi etc ).
Ils n’ont alors trouvé personne pour les défendre, même de la part de ceux qui ont
profité largement de leur largesses, car devenus indéfendables. Oui « cela ne
peut qu’arriver aux autres » est une erreur, tout est lié et les tunisiens ont
en souffert et souffrent encore.
Heureusement pour les victimes de
Baraket essahel , Ben Ali aurait pu les exécuter sur la base de cette grave
accusation de coup d’état et des aveux extorqués sous la torture si ce n’est
cette poignée d’individus de l’étranger ( vivant dans les pays démocratiques
dans lesquels l’humain est respecté) qui ont alerté et défendu becs et ongles
leurs droits bafoués dans le silence le plus criant .
Il est utile de rappeler qu’aux côtés
de Mzali, du FTSN et de l’UDT, d’autres opposants de l’époque ont réagi dans
cette affaire, dont la revue clandestine « vérités » domiciliée à Bruxelles et
dirigée par Ahmed Manai, Mezri Haddad (rédacteur en chef et opposant à
l'époque), Ahmed Kedidi, Ahmed Bennour, ancien secrétaire d’état au ministère
de l’intérieur.